7/27/2011

« Habiter un pont ». Le prix de l'audace !

Présidée par Manuelle Gautrand, le jury du concours Acier, de ConstruirAcier, a désigné ses lauréats le 25 mai dernier. Ce concours, dédié aux étudiants architectes et ingénieurs, vise à promouvoir la construction métallique et ses utilisations multiples. 94 équipes issues de 22 écoles différentes ont alors soumis un projet de « pont habité » proposant aussi bien des greffes à des ouvrages existants que des constructions à part entière. Peu de contraintes pour un maximum de possibilités : de quoi donc stimuler les imaginaires de chacun. Un projet retient ici notre attention : celui proposé par une équipe bordelaise, dont l'un des membres est passé dans nos rangs.
Fabien Sanz, Rémi Morgat, Antoine Esnard, Mailys Sarrazin, ENSAP Bordeaux. Prix de l'audace du CONCOURS ACIER2011, initiative de l'association ConstruirAcier
Des multiples contributions d'étudiants, apportant des réponses au thème retenu cette année pour le concours Acier de ConstruirAcier – « Habiter un pont, une aubaine urbaine ? » –, on retiendra surtout celui qui a suscité la curiosité du jury par son étonnante proposition. Mention de l'audace, le projet conçu pour le pont d'Avignon interroge la capacité de l'architecture contemporaine à s'inscrire dans la ville ancienne. Dans un site chargé d'histoire, les futurs architectes font, en effet, une proposition pour le moins contemporaine, voire futuriste mais qui plonge pourtant ses racines dans les plus anciens récits, en s'accrochant aux édifications existantes. La mise en relation des deux structures, ancienne et nouvelle, n'a pas seulement pour vocation d’établir un lien fonctionnel entre les deux rives. Le vocabulaire classique est en effet réinterprété. L'architecture s'affiche ainsi avec une certaine rondeur. L'arche nouvelle, plus souple, se vrille et s'enfonce dans la rivière, tandis qu'un tablier droit et rigide relie les deux rives disjointes depuis la destruction du pont ancien par une crue voilà plus de trois siècles. La nouvelle construction rappelle inévitablement les animaux mythiques des rivières et des lacs. Elle vient ajouter une part légendaire à ce pont qui demeurait jusque-là sans emploi, trace d'un désastre désormais invisible. Les écailles dorées du projet bordelais laissent entrevoir toutefois la complexité intérieure d'un bâtiment dévolu à un équipement culturel, notamment dédié à la danse, clin d’œil à la chanson qui rend la ville célèbre auprès des tout petits…
Ce pont habité nous parle donc du lieu, mais il compose aussi à ce site singulier une nouvelle histoire et crée une mythologie contemporaine embrassant le fleuve et la cité. L'histoire de la ville nous enseigne déjà que le Rhône est porteur de récits qui constituent la culture et la mémoire d'Avignon, mais l'équipe d'étudiants a su nous transporter dans un univers singulier. En rapport étroit avec le site, ce projet est une porte ouverte sur l'imaginaire, un lien entre fiction et réalité, une audace, finalement, tout ce qu'il y a de plus sensée.
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Hélène GRIALOU


Sur le pont d'Avignon…
Détruit deux fois par les crues du Rhône, fleuve fantasque, le pont Saint-Bénezet à Avignon reste inachevé depuis le XVIIsiècle. La « cité des papes », perchée sur son rocher, contribue à brosser le tableau d’un patrimoine cristallisé. 
Face à ce lourd héritage, qui s’ouvre aussi à nombre d‘expressions culturelles et corporelles, une nécessité : ouvrir de nouveaux horizons, en offrant  à la ville un nouvel équipement, atypique et multifonctionnel, symbole d’un renouveau. Projet manifeste, éloge du contraste, il tente de mettre en résonance la ville traditionnelle avec la ville contemporaine. Réadaptation du vocabulaire classique, le projet abolit le triptyque piles-arcades-tablier, fondant ce staccato en un élément global, une structure spatiale réticulée auto-stable, qui remplit toutes ces fonctions, et symbolise les temps modernes. Un tablier franc, ligne tendue dans le paysage, continuité et prolongement de l’histoire, s’élance vers l’avenir.
Autour du nouveau tablier, les programmes ondulent, abolissant les perceptions spatiales en une forme organique, sans dessus ni dessous, sans haut ni bas. L’acier, par ses capacités structurelles, autorise un vocabulaire architectural libéré et porteur de sens.
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(texte de présentation du projet)
images en grand format HD : 0102 et 03

7/21/2011

DETOURS AUX ARCHIVES #02 – Auguste FABRE

En 1896 la connaissance accrue que les Européens ont, depuis peu, des nouvelles constructions américaines, comme la publicité qui leur est faite, est marquée par une certaine confusion lexicale, des tâtonnements que l'on retrouve sous la plume des différents commentateurs. Les images de la tour de Babel, de la ruche, se répandent dans des traductions plus ou moins heureuses des « buildings » et autres « sky-scrapers ». Mais que faire de ce nouvel élément surgi par-delà l'Atlantique ? Alors que la crainte et la fascination naissent de conserve face à ces nouveaux monstres, à Nîmes, Auguste Fabre, coopérateur et fouriériste, y voit l'actualisation possible d'une utopie qui peine à se diffuser. Des « sky scratchers », le temps d'une brochure, abritent les familistères du futur, et c'est la ville entière et ses faubourgs qui s'en trouvent transformés, par un auteur en guerre contre la petite maison individuelle.
1896 – Sky scratchers et palais sociaux. Une utopie prend de la hauteur
En cette fin de XXe siècle, le regard que la vieille Europe porte sur l'Amérique, et notamment sur son architecture, est en train d'évoluer. Les voyageurs partis admirer l'Exposition Colombienne qui s'est tenue à Chicago en 1893 ont ramené plus d'images de buildings ou de sky-scrapers que de bâtiments de la « Ville blanche » conçue pour l'occasion. Certaines de ces images sont publiées, des cartes postales circulent, les écrits se multiplient, mais la connaissance de ces gigantesques maisons demeure encore relativement confidentielle et, durant des années encore, des articles paraîtront présentant ces « nouveautés » échauffant les imaginations, suscitant l'effroi, la stupéfaction ou l'incrédulité. Le gratte-ciel cependant devient un sujet d'étude, un sujet sérieux. En 1895, la Revue scientifique fait paraître, en deux livraisons, un article sur « Le logement aux États-Unis » (1). L'auteur en est Louis Wuarin, un universitaire qui occupe la première chaire de sociologie instituée en Suisse. Après y avoir abordé les résidences de pierre ou de grès que l'on trouve à New York ou Boston, les cottages de bois ou le logement ouvrier, Wuarin ajoute qu'il lui reste, dans ce texte, à mentionner « une innovation hardie » sur laquelle il va s'attarder. Il s'agit de la « maison haute », « vulgairement appelée sky scratcher » (2). S'ensuit une description de ce nouveau mode d'habitation, de ses avantages et inconvénients, des prodiges de l'ascenseur, de la mutualisation des équipements de chauffage ou de la gestion des déchets ménager…
L. Wuarin, qui n'est pas un fervent partisan de ces constructions, indique avoir visité « diverses familles vivant dans ces ruches », mais le mot qu'il utilise pour les désigner – sky scratcher – paraît aujourd'hui pour le moins étrange. Il ne demeurera cependant pas sans postérité. À Nîmes, un publiciste et militant, acteur important du mouvement coopératif, Auguste Marie Fabre (1833-1922), s'empare du terme et de la chose décrite. Il trouve là l'occasion de produire une combinaison sans doute inédite formant la matière d'un opuscule qui paraît l'année suivante : Les Sky scratchers ou les hautes maisons américaines. Malgré son titre, ce n'est pas de l'Amérique qu'il sera question dans la brochure, mais de la France et du monde, d'une société nouvelle où le travailleur trouvera enfin sa juste place.
Ce texte, qui n'a pas connu la postérité dont rêvait l'auteur, constitue sans doute pourtant l'une des premières incursions du gratte-ciel dans l'imaginaire utopique français et européen. Bien avant que les tours ne remplissent les tableaux de cités idéales, que des architectes, artistes ou poètes n'en fassent le symbole d'un avenir radieux, Auguste Fabre se saisit de ces édifices, les tord et les réforme pour en faire les composantes d'une nouvelle société et de nouveaux appuis pour propager l'idéal pour lequel il milite depuis des années.
À la différence de Wuarin, il ne semble pas être allé lui-même aux États-Unis, mais il s'intéresse depuis longtemps à ce pays. Selon Charles Gide, grand théoricien de l'économie sociale et ami de Fabre, il était « ce que l'on appelle un excentrique, curieux de tout ce qui était un peu extraordinaire » (3). Bien avant que la mode ne l'impose, il scrute donc ce qui se passe outre-atlantique, notamment les expérimentations sociales qui ont pu s'implanter là. Il est également passionné par l'œuvre de Fourier, comme le fut aussi son père, pasteur. Les questions sociales le préoccupent donc de façon toute particulière, à tel point que, patron de la petite filature dont il a hérité, il devient artisan et s'établit à Nîmes dans un petit atelier de mécanique avant de fonder une coopérative de consommation. Il a fait, auparavant, un séjour prolongé dans un établissement industriel atypique, celui fondé à Guise par Jean-Baptiste André Godin où il fait, toujours selon les termes de Gide, « son noviciat dans la vie coopérative ». En même temps qu'une réalisation partielle des idéaux fouriéristes, il a découvert là, en acte, ce mode d'habiter encore nouveau que son instigateur, à la suite de Fourier, appelle « l'habitation unitaire » (4).
Auguste Fabre n'est donc ni architecte, ni urbaniste, mais, réformateur social, la question du logement est naturellement au cœur de ses préoccupations. Il est de ceux qui, à la suite de Fourier ou d'Owen puis de Godin, pensent que le bien-être de l'humanité passe par une réforme qui a partie liée avec l'habitation, que le sort des travailleurs est dépendant de l'architecture parce que celle-ci peut offrir, dans le même temps, un cadre de vie et de travail optimal tout en créant de nouvelles solidarités. 
« En économie sociale, l'habitation doit être considérée comme le premier instrument du bien-être et de l'amélioration physique et morale des populations » affirmait Godin treize ans plus tôt (5). À quelques kilomètres de la Belgique, cet industriel spécialisé dans les poêles en fonte, avait fondé dès le milieu du siècle un « Familistère », désormais célèbre, inspiré des phalanstères de Charles Fourier. Vaste ensemble de logements et d'équipements destiné aux ouvriers de son usine et à leurs familles, le Familistère de Guise abritait à la fin du XIXsiècle, plus de 1500 personnes sur les six hectares acquis par Godin. Une des particularités de ces logements ouvriers tenait dans leur regroupement en grands bâtiments collectifs rompant avec la petite maison traditionnelle. Pour Godin, le logement collectif est, en effet, le logement des temps nouveaux, permettant d'offrir à tous « les équivalents de la richesse ».
« Bien conçue, affirme-t-il, l'habitation suppose un palais dans lequel les logements sont disposés de telle sorte qu'ils offrent des avantages communs dans des conditions égales pour tous. Ainsi établi, le logement de l'ouvrier n'est plus un logement spécial : c'est le logement humain ; il participe à tous les avantages que le palais présente aussi bien pour le pauvre que pour le riche. » (6) 
Indubitablement, c'est ce modèle du « Palais social » de Guise que Fabre a en tête lorsqu'il découvre l'article de Louis Wuarin et les « hautes maisons américaines ». Commodité, intimité sauvegardée dans un cadre collectif, mutualisation de certains services, possibilité de pallier le défaut d'hygiène de l'habitat traditionnel, toutes ces ambitions se retrouvent dans le Familistère. Jusqu'à la métaphore de la ruche, emblème de l'œuvre de Godin, qui devient un lieu commun dans l'évocation des gratte-ciel… Il ne s'agit dès lors pas pour Fabre de discuter des constructions américaines mais de lever les obstacles, pour certains évoqués par Wuarin lui-même, qui pourraient s'opposer à leur construction… et de corriger certains défauts des sky scratchers grâce à quelques innovations du Familistère. Difficulté supplémentaire, il s'agit de démontrer la possibilité de les construire et de les gérer selon les principes issus du mouvement coopératif. Mais, là encore, c'est Godin qui fournira la solution à Fabre : « La construction de ces demeures se fera en société comme se fait aujourd'hui celle des chemins de fer. Il n'y aura plus de propriétaires, mais des actionnaires dont les capitaux serviront à ériger les palais destinés à loger les travailleurs. L'habitation nouvelle sera ainsi édifiée d'après les plans les plus rationnels que l'expérience et la science découvriront, dans l'art d'approprier toutes choses au progrès et au bonheur de l'homme. » (7) 
Alors qu'une forme collective de logements peine à se répandre en France et Europe, les États-Unis apportent la preuve éclatante de la possibilité d'agglomérer de nombreuses habitations et de tirer profit de cet assemblage. Le Temple maçonnique qui est alors le plus haut gratte-ciel du monde atteint, avec ses 21 étages, 92 mètres. Du pays même où règne le capitalisme, naît une forme architecturale qui va permettre à Fabre d'employer de nouveaux arguments contre les « économistes orthodoxes énamourés de la petite maison ouvrière » et de faire évoluer le modèle de l'habitation idéale.
Fabre semble toutefois vouloir aller plus loin encore. Il ne se contente pas d'envisager l'acclimatation des gratte-ciel américains au sol français, ou de proposer sur ce modèle la construction de quelque nouveau familistère. L'exemple américain l'amène à produire une esquisse de remaniement complet de la ville. Le sky scratcher apparaît immédiatement comme un outil radical de rationalisation de la cité, viciée par des décennies et des siècles de tâtonnements, d'aménagements non concertés, d'extensions, de délaissement. C'est autant sa « supra-structure » (forme générale, distribution des bâtiments, gestion des vis-à-vis, voirie, jusqu’aux impasses où l’ont déjà conduite la multiplication de la maison individuelle et l’étalement des faubourgs), que l’« infra-structure » (systèmes d'écoulement et de gestion de déchets) qui va être réformée. Un zonage des activités serait même induit par l'implantation de sky  scratchers amendés en « habitations unitaires », « reléguant forcément dans les faubourgs éloignés, les ateliers bruyants et les professions insalubres ». Outil de rationalisation de la ville selon les exigences de l'hygiène et de la productivité, comme de « civilisation » de ses habitants grâce aux nouvelles interactions nées de leur regroupement, le logement idéal perd en outre avec Fabre la forme définitive qu'imaginaient Fourier ou Godin. « Avec la grande maison unitaire, l’habitant et l’habitation agiraient et réagiraient l’un sur l’autre : le premier, réclamant pour l’immeuble des formes et des dispositions générales de plus en plus parfaites, le second, exigeant des locataires un ton et des habitudes de plus en plus sociables. »
Les gratte-ciel vont susciter nombre de rêveries et d'utopies. Mais, de l'utopie, la plupart ne garderont que la projection dans un monde fondé sur la science et la technique. Les dimensions économique et politique en seront le plus souvent exclues ou non explicites. Ici Fabre, bien avant que ne se manifeste ce mouvement, trace à grands traits le guide d'un véritable détournement utopique des sky scratchers américains, fondé sur une ligne politique, que l'on jugera plus ou moins pertinente, plus ou moins effrayante.
Le texte de Fabre restera de toute façon sans suite, un hapax dans l'histoire du gratte-ciel, comme il en existera d'autres, dans différentes voies. De Nîmes, Fabre prêche comme dans un désert où sa voix se perd, sans même lui retourner son écho. Son ami Charles Gide, dans un cours d'économie politique publié pour la première fois en 1919, dira : «  On ne bâtit aujourd’hui guère autrement, ni mieux, qu'au temps des Romains. Sans doute ils ne connaissaient pas les "gratte-ciel" (sky-scrapers) des États-Unis. Ces gigantesques constructions semblaient devoir apporter au problème du logement une solution originale : la place pour se loger dans les villes se trouvant limitée en surface, restait la ressource de la multiplier en hauteur par une superposition d'étages indéfinie. Mais ces nouvelles tours de Babel n'ont pu réaliser aucune économie dans le coût du logement : elles sont très coûteuses, incommodes pour l'habitation et ne sont guère utilisées que pour des bureaux. Au reste, c'est une mode qui commence à passer. » (8)
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1. Louis Wuarin, « Le logement aux États-Unis », Revue scientifique, 4série, t. 4, n° 3, 20 juillet 1895, pp. 69-78 & n° 4, 24 juillet 1893, pp. 105-107.
2. Ibid., p. 72.
3. Charles Gide, L'École de Nîmes, cours sur la coopération, décembre 1925-avril 1926, p. 13.
4. Pour des informations plus détaillées sur Auguste Fabre, voir la notice qui est lui est consacrée sur le site de l'International Institut of Social History : http://www.iisg.nl/collections/scratchers/background.php
Le texte intégral de l'opuscule dont nous donnons un extrait est également disponible sur le même site.
5. Jean-Baptiste André Godin, Le Gouvernement : ce qu'il a été, ce qu'il doit être, et le vrai socialisme en action, Paris, A. Ghio, 1883, p. 497.
6. Ibid., p. 498.
7. Ibid., p. 518.
8. Charles Gide, Cours d'économie politique, tome 2, Paris, Sirey, 1923, pp. 492-493.
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Le texte en téléchargement (.pdf) ici

7/07/2011

Images à la frontière. Jean-Christophe Garcia – Faits divers et Partage des eaux

Du 14 mai au 26 juin 2011, une exposition organisée à la Vieille église Saint-Vincent de Mérignac permettait, pour la première fois, de revenir sur près de vingt ans de travail de Jean-Christophe Garcia. Pour ceux qui n'ont pas eu la chance de s'y rendre, un catalogue publié aux édition Le Festin prolonge l'événement. 
Une nouvelle exposition a, en outre, ouvert ses portes à Bordeaux, mardi 5 juillet, redonnant à voir une des séries emblématiques du photographe, Le Partage des eaux.
Les premiers travaux publiés de Jean-Christophe Garcia datent du tout début des années 1990. Vingt ans nous séparent donc de ceux-ci. Vingt ans au cours desquels les projets de l'artiste se sont succédé. Deux décennies durant lesquelles il a largement dépassé le cadre de la photographie stricto sensu, construisant, sans renoncer à nous parler du monde, des dispositifs qui interrogent l'image elle-même, le rapport que nous entretenons avec elle et avec notre environnement.
Parcourant les séries présentées, qui sont, selon les mots de Dominique Dussol, commissaire de l'exposition, autant de « séquences cardinales » d'un travail patient et exigeant, c'est ce qui saisit et déroute. Quel rapport en effet entre les premières images montrées, ces « lieux de crime », qui ouvrent le catalogue, et les saisies d'écran du projet Atgol ? Plus encore, comment rattacher ces deux séries aux portraits énigmatiques qui composent Hors-champ, à ces intérieurs proprets et désuets, appartenant à des pensionnés de la marine (Documents potentiels – Les pensionnés de la marine) ou à cette série présentant en diptyques des cinémas aquitains du milieu du xxe siècle ? Les exemples pourraient se multiplier, et on pourrait évoquer encore ces photogrammes, fruits d'un voyage de 2000 kilomètres en Allemagne, le long de la frontière disparue entre l'Est et l'Ouest (Incidences de frontière)... On passe alors d'une série à l'autre, d'une image à l'autre. Des liens se tissent, ténus, mais, pour peu qu’on veuille les étirer, ils en viennent à se rompre. L'unité de l'ensemble se dérobe si l'on cherche la clé de l'œuvre à la surface des images. Il semble impossible de les classer selon un style, d'y retrouver une obsession formelle, de les traiter par la seule technique. Documentaire, reportage, paysage, portrait, les genres se croisent et se mélangent. Il y a un peu de tout cela, mais l'énumération laisse désemparé et insatisfait. Photographies, photogrammes et saisies d'écran ; les techniques, les formats, les textures se multiplient.
« Répertoire », « inventaire », « documents » semblent tirer l'œuvre vers la recension scrupuleuse, la neutralité quasi-scientifique, le regard objectif. Mais le « répertoire » en question est celui de « l'informe », l’« inventaire » est « subjectif », les « documents », « potentiels ».
On peut s'ingénier à tirer ces fils repérés cependant, la récurrence du motif de l'absence, l'attention au monde et à ses transformations, noter un goût pour une image que l'on pourrait appeler secondaire, image de second ordre, réalisée à partir de films, d'agrandissements d'images imprimées, de captures d'écran d'ordinateur, images également en relation avec des images toujours déjà existantes. On peut s'ingénier à chercher les références, plus ou moins explicites : Karl Blossfeldt, dont Jean-Christophe Garcia reprend le dispositif pour photographier des fleurs en plastique (Répertoire de l'informe), Eugène Atget dont il suit les traces dans le Paris recomposé par Google (Atgol). On peut noter également que ces producteurs d'images ont au moins un point commun, celui d'avoir produit une œuvre outrepassant ce qu'ils avaient pu y mettre, créant des images à des fins pédagogiques pour l'un, pratiques pour l'autre qui y voyait notamment un moyen d'aider les peintres dans leur recherche de modèles. On s'apercevra alors que la photographie, pour peu que l'on se plie à une certaine discipline, est peut-être toujours un « document potentiel ». On peut penser aussi aux optogrammes du XIXsiècle, en voyant ces « Lieux de crime », sous-bois rendus énigmatiques, inscrits dans ce cercle au contour flou qui pourrait être celui d'un œil. On se rappellera alors que ce concept photographique qui prétendait pouvoir retrouver sur la rétine d'un individu assassiné la dernière image qu'il avait pu apercevoir relevait sans aucun doute du charlatanisme et que l'on peut suggérer beaucoup en montrant très peu de chose.
Ce faisant, on est peut-être sur la piste de ce qui fait le charme de toutes ces images et l'unité de l'ensemble. C'est sur le mode de l'ellipse que l'œuvre travaille en nous, et qu'une même poésie s'en dégage. Mille histoires surgissent potentiellement qui viennent troubler ce qui n'a, au premier abord, que l'apparence d'un constat. Mettant techniques et formats à son service, ce sont bien donc, selon les mots d'Évelyne Toussaint dans un des textes qui ouvrent le catalogue, des « surfaces de projection » que construit patiemment Jean-Christophe Garcia, nous introduisant à la frontière des choses et de leur représentation, au seuil d'une explication ou d'un récit qu'il s'agit d'inventer ou de retrouver.
Au spectateur pressé, ces images ne livreront, de ce fait, presque rien. Trames, pixels, grain, couleurs et teintes retiendront peut-être un temps l'attention, mais les paysages, les hommes, les objets, conserveront leur mutique posture. À celui qui s'attarde, l'étrangeté d'un monde pourtant familier, et que l'artiste ne vient pas transfigurer, apparaîtra plus sûrement. Le sujet et son traitement, les mots et légendes, fonctionneront de concert pour faire accéder, comme le suggère Jean-Marc Huitorel, à une vision plus encore qu'a de simples images (1).
En 2002, Jean-Christophe Garcia et Marie Borel, au cours d'une résidence croisée, entreprenaient ensemble un voyage autour de l'estuaire de la Gironde. Loin du pittoresque et du bucolique, c'est à la frontière que l'artiste, et l'écrivain, nous conviaient une nouvelle fois. Une création à deux voix qu'il est possible de découvrir, ou redécouvrir, depuis le 5 juillet à Bordeaux, Cour Mably. Frontière entre l'eau et la terre, la mer et le fleuve, là où le réel s'invente et la fiction s'observe, à l'interstice entre ce que l'on peut voir et suggérer. Un même voyage donc, nous est encore proposé, sans doute parce que la « vraie vie » est définitivement  « ailleurs ».

(1) Jean-Marc Huitorel, « La chute des murs », in Jean-Christophe Garcia, Incidences de frontière, Bordeaux, Le Festin, 1998.


Né en 1959 à Saint-Émilion, Jean-Christophe Garcia vit et travaille en Aquitaine.
Diplômé de la faculté d’arts plastiques de Bordeaux, il enseigne depuis plusieurs années à l’école d’architecture et de paysage de la même ville. Membre de l’association ATIS en tant qu’auteur, réalisateur de films, il est également cadreur/chef opérateur pour des réalisateurs de documentaires. Son œuvre comporte de nombreux travaux photographiques et vidéos dont plusieurs ont donné lieu à des publications. Les œuvres de Jean-Christophe Garcia ont été exposées aussi bien en France et à l’étranger dans de nombreuses galeries et centres d’art ou d’architecture, et figurent dans les collections permanentes du Centre Georges-Pompidou, de l’Artothèque du Conseil général de la Gironde, de l’Artothèque de Pessac, du Musée d’Aquitaine, de la Collection d'art contemporain de Mérignac, de l’IDDAC, ainsi que dans de nombreuses collections particulières.
Jean-Christophe Garcia sera présent au sommaire du premier numéro de la revue ACT! avec une série spécialement conçue pour l'occasion : « Lieux communs des tours ».

Liens et références :
Jean-Christophe Garcia, Faits divers, textes de Dominique Dussol, Évelyne Toussaint, Xavier Rosan, Bordeaux, Le Festin, 2011. http://www.lefestin.net/livre/jean-christophe-garcia-faits-divers
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Jean-Christophe Garcia, Le Partage des eaux, Coutras, éd. Le Bleu du ciel, 2002.
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Exposition – Partage des eaux
Du 5 au 29 juillet 2011 – Cour Mably et salle capitulaire, Bordeaux
Exposition de photographies de Jean-Christophe Garcia, accompagné de lectures par l’auteur Marie Borel. 
Entrée libre / Tous les jours de 13h à 19h

6/16/2011

DETOURS AUX ARCHIVES #01 – Paul Bourget

Dans le cadre de la préparation du premier numéro de la revue ACT!, une série de « détours aux archives », retrace l'histoire de l'arrivée des gratte-ciel américains en Europe et en France. Une histoire qui n'est pas que de métal et de briques ou de béton, mais que les mots – et les images – façonnent également. Une histoire faite de tâtonnements, de rencontres et de polémiques. Une histoire dont cette chronique, discontinue, par les textes qui ont contribué à modifier nos paysages ou qui ont témoigné de ces transformations, tente de rendre compte.

Paul Bourget et L’Auditorium Building (Dankmar Adler et Louis Sullivan, architectes, 1889) depuis Michigan Avenue, Photocopy of photograph #9853, Library of Congress, HABS ILL,16-CHIG,39-75.

1893 – L'Amérique redécouverte.  Paul Bourget fait entrer des « buildings » dans le dictionnaire

Comment décrire cette ville nouvelle qui sort de terre aux États-Unis à la fin du XIXe siècle ? Quels mots utiliser ? Comment faire sentir la différence, la nouveauté et l'énormité de ce qui se construit alors ? C'est cette question qui se pose en 1893 alors que nombre d'Européens font le voyage d'Amérique pour assister à l'Exposition Universelle de Chicago. Les images, les récits mais aussi les mots qui en seront ramenés vont marquer durablement les esprits. 1893, c'est en quelque sorte une redécouverte de l'Amérique. L'extrait d'Outre-mer de Paul Bourget, que nous donnons à lire ici, brièvement introduit, nous ramène à cette époque où les mots et les choses sont en pleine mutation.

En août 1893, Paul Bourget (1852-1935), écrivain à succès, romancier mondain, gloire de la Troisième République, futur académicien et partisan de l'Action Française, part huit mois aux États-Unis, en « touriste » selon ses propres mots. L’idée de ce voyage ne lui est cependant pas venue seul. Son ami James Gordon Bennet dirigeant du New York Herald, depuis Paris, lui a demandé un livre sur les Etats-Unis (1). La date du voyage n'est pas non plus innocente et l'entreprise semble promise au succès. L'initiateur du projet peut compter sur la notoriété de l'auteur mais aussi sur l'actualité. Depuis quelques mois, en effet, l'Exposition Universelle qui doit se tenir à Chicago est annoncée. La ville désastrée à peine vingt ans plus tôt commence à attirer l'attention jusque de ce côté de l'Atlantique.   Paul Bourget, de surcroît, a ses propres motifs le poussant à accepter l'offre (2).
L'écrivain s'embarque donc, accomplit la traversée et, au fil des pages de ce qui deviendra Outre-Mer. Notes sur l'Amérique, brosse le portrait d'un continent encore méconnu et en plein bouleversement. Attentif et curieux, il croque pour l'occasion des « instantanés », captant sur le vif l'intensité de la vie américaine. Après avoir décrit son arrivée à New York où la stupéfaction touche au sublime – « Gigantesque, colossal, démesuré, effréné, — on répète malgré soi les mêmes formules, car les mots manquent pour égaler cette apparition » –, avoir visité et vu la ville depuis le sommet de l'Equitable building – « un gigantesque palais à façade de marbre qui se dresse presque à l'extrémité de Wall Street », «  cette ruche humaine qui contient quinze cents locataires » – d'où il peut admirer une ville comme il n'en a jamais vu auparavant – « même plus une ville au sens où nous entendons ce mot, nous qui avons grandi dans le charme des cités irrégulières [...] une table des matières, d'un genre unique, et qu'il s'agit de manier commodément » – avoir été effaré par les immenses hôtels et leurs équipements inédits, c'est Chicago qu'il découvre et décrit, du sommet d'un de ses plus emblématiques bâtiments, où les architectes eux-mêmes – Adler et Sullivan – avaient choisi d'installer leurs bureaux.
Il participe de ce fait à un mouvement plus ample qui fait des États-Unis un poste d'observation de la modernité qui vient et donne à voir les premiers développements de ce qui en deviendra un symbole – le gratte-ciel. À travers ce récit, c'est donc une des étapes de la découverte et de la prise au sérieux de cette nouvelle architecture commerciale qui se joue. Dans le même temps, il nous donne à revivre l'émotion et l'étonnement des contemporains devant l'immensité et l'altitude de ces nouveaux monstres urbains dont les catégories traditionnelles peinent à rendre compte. En témoignent les tâtonnements dans leur dénomination et la nécessité d'importer de nouveaux mots, les superlatifs s'épuisant dans la description d'une ville qui ressemble de moins en moins à ce que nous connaissons.
Le Home Insurance Building de William Le Baron Jenney, que l'on considère comme le premier gratte-ciel, n’a pas dix ans et c’est chose nouvelle encore que de parler de ces bâtiments fantastiques qui sortent de terre. Les exubérances américaines sont bien un peu connues, mais on ne parlait jusqu'alors dans la presse, généraliste ou spécialisée, que de « maisons de grande hauteur » ou « colossales », de « constructions énormes » ou bien « géantes ». Paul Bourget recourt également à ces expressions, mais il nous fait aussi part « des édifices du genre de ceux que les gens de Chicago appellent des  ‘‘écorcheurs de ciel’’ ou des ‘‘presseurs de nuages’’, — sky-scrapers et cloud-pressers »… Les mots suivent les choses et les appellations ne sont pas encore figées, même aux États-Unis. Il popularise aussi un autre mot dont la fortune sera plus immédiate et durable. On ne connaissait guère, en effet, les buildings qui font alors à peine leur apparition dans la langue française.
Le Dictionnaire étymologique et historique des anglicismes d'Édouard Bonnaffé (3) cite à l'entrée « building » une phrase d'Outre-mer et une autre de Paul Adam (1906). Le Petit Robert, en 2009 encore, donne la date de 1895, celle de publication du livre de Bourget, pour l'apparition de ce mot dans un texte français. Sans doute ces deux-là oublient-t-il la publication sous forme de feuilleton du texte (4) et ne tiennent-ils compte que du volume qui paraît plus tard. Sans doute oublient-t-ils de la même façon qu'un livre d'Octave Uzanne, par exemple, paru deux ans plus tôt, utilise déjà le vocable américain (5) ou que Jacques Hermant pour les lecteurs de la Gazette des Beaux-Arts évoque déjà « Le ‘‘Building’’, la ‘‘Construction’’ par excellence » (6). Les références à Bourget montrent assez, toutefois, sa participation décisive dans la diffusion du mot.
Au-delà de l'anecdote, et de l'attribution à Paul Bourget de ce « mérite », l'intrusion de ce mot dans le lexique français – ainsi que celle de « sky-scraper » –, symbolise une rupture importante. En important ces mots, les voyageurs partis admirer l'Exposition de Chicago donnent un nom, ils reconnaissent un type. Le sentiment se fait jour dans le même temps que ce type n’est pas réductible à ce que nous voyons chez nous. Ce ne sont pas seulement nos « maisons » en plus grand. Il ne s'agit pas seulement d'un changement d’échelle. Sont en jeu aussi un mode constructif, des matériaux, des méthodes, bientôt une esthétique. Ce ne sont plus des excroissances pathologiques de constructions communes, des fantaisies sans lendemain qui poussent sans raison sous des cieux exotiques. Un genre apparaît qui se prête à l'observation, à l'étude et, peut-être, à l'admiration ou à l'imitation. L'usage d'un terme étranger marque encore l'origine de la chose, spécifiquement américaine, tout en conservant une distance que beaucoup doivent juger bienfaisante mais, alors que l'on tâtonne encore, même aux États-Unis, à fixer un terme nouveau, la chose est nommée et retient l'attention.   Le voyage effectué a permis d'adosser les jugements sur l'architecture américaine à une compréhension plus fine du pays, de ses institutions et de ses mœurs, de saisir les bâtiments dans leur contexte et plus seulement à partir de photographies ou de gravures. L'architecture commerciale assez peu remarquée jusque-là va, petit à petit, devenir le point de mire des regards étrangers. Une nouvelle période s'ouvre faite de tiraillements, d'hésitations, de luttes, pour proposer et imposer des images et des mots, façonnant peu à peu une symbolique nouvelle.
Le building devient alors le symbole de l'Amérique et par là du futur, c'est le produit de l'initiative individuelle en même temps que celui du travailleur anonyme, c'est le temple des affaires et le monument à la démocratie, un chef-d'œuvre de technique et l'image du fonctionnalisme. C'est aussi, comme Paul Bourget nous le fait sentir, le belvédère qui donne à voir la ville, nouvelle, sous un nouvel angle.
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Eric Martinez

(1) Sur le voyage de Bourget et le livre qu'il en tire, voir Guillaume Lagane, « Paul Bourget en Amérique », Commentaire, n° 108, hiver 2004, pp. 1045-1050.
(2) Dans l'introduction au livre, il écrit que ce qui l'intéresse « ce n'est pas l'Amérique elle-même, c'est l'Europe et c'est la France, c'est l'inquiétude des problèmes où l'avenir de cette Europe et de cette France est enveloppé ». (p. 6). Lors de ce voyage aux États-Unis, Paul Bourget passe, en outre, quelque temps au Canada, dont il ne dit rien dans son livre. À ceux qui s’émeuvent de ce fait, il répond qu’« Outre-Mer est un livre qui a pour but d'établir avec preuves à l'appui quelques idées sur la façon dangereuse dont la France pratique la démocratie. » (Paris-Canada, 15 février 1895, cité par Armand Yon, in « Les Canadiens français jugés par les Français de France, 1830-1939 (suite) », Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 20, n° 1, 1966, p. 66.
(3) Édouard Bonnaffé, Dictionnaire étymologique et historique des anglicismes. Préface de M. Ferdinand Brunot, Paris, Librairie Delagrave, 1920, p. 20.
(4) Avant de paraître en volume, ses « Notes sur l’Amérique » sont d’abord publiées en feuilleton dans le New York Herald puis dans Le Figaro (de septembre 1894 à février 1895).
(5) Octave Uzanne, Vingt jours dans le Nouveau Monde, Paris, Collection des guides-albums du touriste par Constant de Tours, 1893, p. 129.
(6) Jacques Hermant, " L'Exposition de Chicago ", Gazette des Beaux-Arts, n°435, 1er septembre 1893, p. 243.
Le texte de Paul Bourget en téléchargement (.pdf) ici 

5/23/2011

Open Source. Architecture as an open culture

Cecil Balmond, qui sera le grand invité de la partie « Structure & recherche » du premier numéro de ACT!, revue d'architecture d'art et d'humeur, était à l'honneur le printemps dernier à Porto avec une exposition et un séminaire international où Overworld était présent et dont un livre qui vient de paraître rend compte aujourd'hui.

Le 12 juin 2010, la Casa da Música de Porto accueillait un séminaire international consacré à Cecil Balmond et inspiré de son travail polymorphe et transdisciplinaire : « OPEN SOURCE | architecture as an open culture ».
Une exposition à Montesinhos – dans la maison d'Alvaro Siza devenue maintenant Casa de Arquitectura – complétait l'événement en présentant des dessins originaux, esquisses, maquettes et objets relatifs à vingt années de recherches et de réalisations au croisement de la musique, de l'architecture, de l'ingénierie et de la philosophie.
Près d'un an plus tard, Circo de Ideias, association organisatrice de l'ensemble, vient de faire paraître un livre témoignant de ce qui fut dit et montré ce printemps. On retrouve au sommaire de cet ouvrage l'ensemble des intervenants, parmi lesquels Cecil Balmond lui-même, interviewé par Hans-Ulrich Obrist, Sanford Kwinter, Tomás Saraceno, Ron Eglash, Rubedo, Antonio Adão de Fonseca, Luis Tavares Pereira, Gonçalo Azevedo mais aussi Overworld qui, avait alors présenté un film conçu par Delphine Costedoat et Pier Fossey – PETERS (isfi) – : to Cecil Balmond, Untitled #1 dont le texte est repris dans son intégralité.

Open Source 2010 | architecture as an open culture
150 x 210 mm / 120 pages / hardcover / english / Published: march 2011 / 20 €
http://circo-de-ideias.blogspot.com/

Sommaire
Introduction – Gonçalo Azevedo
Cecil Balmond Interview by Hans-Ulrich Obrist
Temporal Asymetry and Open Source – Sanford Kwinter
Lighter than Air – Tomás Saraceno 
African Inspiration for Open Architecture : the Political Economy of Self-Organization – Ron Eglash
Harmonographic Sound Structures – Rubedo
Bridges-Structure, Architecture and Aesthetics – Antonio Adão de Fonseca
Disaugmented Reality – Overworld
A Task of Sublety – Luis Tavares Peteira
Ceci Balmond In-Site exhibition at Casa de Arquitectura
Gonçalo Azevzdo Interview by Pedro Baía

4/13/2011

500(00) logements à Bordeaux... Peut-être


conception graphique / LE BIG Bureau d’Intervention Graphique, Franck Tallon,
Florent Larronde et Pauline Pillot
sources textes / a’urba, arc en rêve  centre d’architecture

La « Semaine de la Fabrique Métropolitaine », qui s’est tenue à Bordeaux du 1er au 8 avril 2011, s’adressait « à tous ceux qui se sentent concernés par les enjeux de métropolisation en cours. Qu’ils souhaitent mieux s’en informer ou en débattre et participer à l’élaboration du Projet métropolitain ». Elle a été l’occasion, notamment pour les futurs architectes et chercheurs en questions urbaines, de voir de grands noms de la profession et de la politique à l’œuvre. Les enseignements, vécus, et ressentis, des invités à ces journées, n’ont pas toujours été, cependant, ceux attendus par l’institution. Compte rendu de Fabien Sanz, étudiant en cinquième année à l’ENSAPBx (École nationale supérieure d’architecture et de paysage de Bordeaux).

Tomber de rideau sur la semaine de la fabrique Métropolitaine à Bordeaux. La lumière se rallume, les spectateurs quittent la salle, et… banquet ! Les petits-fours et le vin étaient donc les invités-surprises à l’hôtel de la CUB, symboles d’un art de vivre bordelais omniprésent dans les débats. Pour ce qui est du projet métropolitain, on repassera.
Tout était donc parfait dans le meilleur des mondes, et on frisait parfois l’autocongratulation de la part des élus, visiblement très satisfaits d’eux-mêmes et du projet qu’ils nous concoctent. Le clou du spectacle était le résultat du concours des « 50 000 logements nouveaux autour des axes de transport » présentés par les architectes eux-mêmes. Cette programmation en cinq actes attirait des grands noms de la profession : l’OMA de Rem Koolhaas, l’AUC de Djamel Klouche, Alexandre Chemetoff et associés, 51N4E et Lacaton &Vassal.
Dans cette liesse populaire, ces quelques  artistes reconnus de tous devraient pouvoir apporter de l’eau au moulin de la CUB. Heureusement, cela n’a pas été le cas. Les architectes se respectent encore assez pour ne pas travailler gratuitement et dans le vent. Parmi eux, la voix la plus grinçante a, une nouvelle fois, été celle de l’OMA, qui avait presque ouvertement décidé de boycotter cette mascarade étiquetée « citoyenne ».
Clément Blanchet, le représentant français de l’OMA, assurait la présentation. « Le centre-ville de Bordeaux est un territoire nostalgique et cristallisé […] alors que Mériadeck représente une modernité positive », commence-t-il, en nous présentant le projet d’un gigantesque « paquebot » de 600 mètres de long (projet de reconversion des entrepôts MacDonald’s à Paris), immense bâtiment multifonctionnel totalement décalé. L’ironie est à peine dissimulée lorsqu’il révèle dans la foulée le projet de la « nouvelle ceinture douce », un anneau de transport en commun pour Bordeaux, illustré par une ménagère des années 1960 se caressant la ceinture, douce donc, et verte, évidemment. Car « Pour gagner un concours aujourd’hui, il faut être vert » déclare-t-il, allusion probable au concours Bordeaux Euratlantique, perdu par OMA au bénéfice de Reichen et Robert & associés. La conférence prend ensuite un tour presque comique lors de la présentation du label AOC (Architecture Océanique Climatique) qu’il envisage de créer pour protéger l’architecture bordelaise. Il termine en apothéose en insistant sur les magasins IKEA : des « boîtes » sur lesquelles il envisage de faire vivre les Bordelais, avant de proposer la création d’une antenne de contrôle censée surveiller l’efficience du projet métropolitain, tout un programme…
Place à la salle. Les questions des spectateurs se succèdent mollement pour, notamment, dénoncer le caractère « bruyant » d’une ceinture douce, ce qui nous a gratifié d’une réponse assez piquante de la part du représentant d’Iosis, en guise de conclusion : « Il faudra qu’un jour les Bordelais arrêtent de croire que l’on peut vivre tout seul dans sa maison, au fin fond des Landes, tout en ayant autant d’offre de transport qu’à Châtelet-les-Halles et autant d’équipements publics qu’à Berlin. »
Les trois équipes françaises en lice (A. Chemetoff, Lacaton & Vassal, D. Klouche) ont adopté un ton beaucoup moins polémique, préservant leurs intérêts. Leurs projets étaient pourtant tout aussi pauvres. On pourrait d’ailleurs parler de recyclage plutôt que de projet, tant les concepts présentés étaient déjà vus, revus et éculés. Le « plan guide » chez Chemetoff, la violence urbaine de Klouche et le « zéro destruction » de Lacaton &Vassal, le tout présenté sur le ton faussement enjoué du représentant commercial venant vendre ses idées. Dans ce revival des idées de l’an 2000, on comprend que tout le monde est satisfait, y compris le public, enthousiaste à l’idée de mettre des balcons sur les tours d’habitation de Thouars (Talence).
Reste 51N4E, jeune équipe belge qui a tout à gagner à se faire connaître. Elle est donc la seule à avoir rendu un travail réellement nouveau, contextuel et intéressant. On notera notamment l’idée de bannir des banlieues les immeubles en R+3 ou R+4 qui homogénéisent nos paysages, et de leur préférer un habitat individuel dense, bien plus adapté au paysage et à la culture bordelaise. Ponctuer ensuite cet « urbanisme horizontal » par des émergences qui agissent à la fois comme des signaux urbains, et comme des belvédères sur le paysage pour les habitants. L’idée d’un « urbanisme de grappes » efficient pour recréer de nouveaux centres urbains en périphérie, alternative à l’omniprésence du centre-ville bordelais, a également été unanimement saluée par la salle.
Au vu de la médiocrité des travaux présentés par les architectes, 51N4E mis à part, on se dit que la CUB n’a manifestement pas fait ce qu’il fallait pour obtenir des travaux corrects de leur part. Se serait-elle servie d’eux comme alibis pour crédibiliser un projet métropolitain déjà ficelé en amont ? On ne serait pas loin de le croire lorsqu’en filigrane, on comprend que les lots ont déjà été répartis entre les différentes communes, celles-ci n’ayant pas toutes encore validé la procédure. Le tout sans voir l’ombre du moindre « projet métropolitain ». Il aura fallu attendre la dernière conférence pour entendre un spectateur poser la bonne question ; « peut-être qu’à 27 communes, il sera difficile de se mettre d’accord sur une politique métropolitaine… ». Sourires gênés.
Au final, les élus se partagent donc les idées, réparties en lots, qui devraient être mises en œuvre autour de 15 sites (5 par équipe) et 500 logements construits, une goutte d’eau dans l’océan des opérations immobilières construites sur la CUB. Toute cette agitation confortera chaque maire dans sa manière de faire la ville, tout seul dans son coin, et sans projet d’ensemble. À moins qu’elle ne reste lettre morte, un écran de fumée sur la réalité d’une fabrique métropolitaine plus politico-économique qu’architecturale.

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Fabien Sanz


CCTV, Beijing, Chine, Cecil Balmond et OMA-Rem Koolhaas
© Cecil Balmond / Arup

Anneau de Möbius

« En topologie, le ruban de Möbius (aussi appelé bande de Möbius ou anneau de Möbius) est une surface compacte dont le bord est homéomorphe à un cercle. Autrement dit, il ne possède qu’une seule face contrairement à un ruban classique qui en possède deux. Elle a la particularité d’être réglée et non-orientable. Cette surface a été décrite indépendamment en 1858 par les mathématiciens August Ferdinand Möbius (1790-1868) et Johann Benedict Listing (1808-1882). Le nom du premier fut retenu grâce à un mémoire présenté à l’Académie des sciences à Paris. On trouve également les dénominations de bande, anneau ou ceinture de Möbius, et on écrit parfois Moebius.
Il est facile de visualiser la bande de Möbius dans l’espace : un modèle simple se réalise en faisant subir une torsion d’un demi-tour à une longue bande de papier, puis en collant les deux extrémités. Si l’on coupe le ruban en deux dans le sens de la longueur, on obtient un anneau unique, vrillé, mais qui possède deux faces distinctes et deux bords distincts.
Si on le recoupe dans le sens de la longueur, on obtient... deux anneaux distincts, vrillés et entortillés l’un sur l’autre. »

À Beijing, Chine, Cecil Balmond et OMA-Rem Koolhaas signent le chef-d’œuvre du CCTV (siège de la télévision chinoise), en dépassant le cadre réglé et non-orientable du ruban de Möbius, par le biais de la géométrie fractale qu’inclue la théorie de l’informal développée par Cecil Balmond.
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Delphine Costedoat